«Changer, c’est accepter les possibles» : comment intégrer le changement dans sa vie ? Couple, travail, climat… notre époque est traversée par des mutations profondes et incessantes. Mais comment trouver la force, toujours, de se réinventer  ? Le temps file», rappelle le chanteur David Bowie, il faut savoir «prendre les tournants, affronter l’étrange».


«Changer, c’est accepter les possibles» : comment intégrer le changement dans sa vie ? Couple, travail, climat… notre époque est traversée par des mutations profondes et incessantes. Mais comment trouver la force, toujours, de se réinventer  ? Le temps file», rappelle le chanteur David Bowie, il faut savoir «prendre les tournants, affronter l’étrange».

Changer, c’est bien, mais de quel changement parle-t-on ? Notre propre époque, plus qu’une autre, nous en fait-elle l’injonction ? Et si oui, nous en impose-t-elle également la cadence ? Auquel cas il nous faudrait non seulement changer, mais à marche forcée plutôt que par petits pas.


◦ Les changements de la rentrée.

Quoi de neuf en septembre ? Chaque rentrée est l’occasion de resservir le thème du changement dans nos quotidiens. Ce concept, tout comme celui de résilience est transfiguré, usurpé par commodité de langage. «L’injonction au changement, est-ce vraiment du changement ?», interroge ainsi le philosophe Fabrice Midal, qui n’hésite pas à provoquer ceux qui font dire au mot tout et n’importe quoi, notamment dans le monde de l’entreprise. Il pose la question : passer des bureaux fermés à l’open space, est-ce vraiment faire bouger notre rapport au travail ? 

«On demande aux gens de s’adapter, de façon réactionnelle, mais changer pour changer, ce n’est pas changer. C’est une injonction à répondre à de nouvelles normes, ce qui est différent. Car la vie en elle-même n’est que changement, déploiement. Il y a quelque chose d’organique, en lien avec le vivant. C’est pour décrire ce processus évolutif que j’ai inventé la théorie du bourgeon (qui donne son titre à son dernier ouvrage, paru en janvier, aux Éditions Flammarion, NDLR).» 

Toute l’histoire de la philosophie peut se lire à l’aune de cette question. Héraclite considère que rien n’est permanent sauf le changement, car la nature même de la vie est changement, quand Platon insiste sur la difficulté de l’expérience du changement qui, chez lui, prend la forme d’une sortie de cette caverne et d’une avancée éblouissante vers le réel… On pourrait aussi citer l’Émile, de Rousseau, qui, dans l’articulation entre le naturel et le culturel, parle d’un être qui n’est pas immuable mais qui se transforme au fil de ses états sociaux.

◦ Vivre le présent

Dans cette notion polymorphe se lit en filigrane notre rapport au temps, notre manière de vivre le présent. «Lorsqu’on refuse le changement, on reste enfermé dans quelque chose de déjà connu, sans voir les possibles qu’offre ce présent. Au contraire changer, c’est accepter les possibles», poursuit Fabrice Midal. La dialectique de Hegel est une pensée du mouvement vers plus de vie. Le philosophe allemand la célèbre contre les forces de fixations mortifères. Pour rester vivant, il faut changer, car sinon on meurt. Le changement ne s’oppose donc pas au respect du passé, il est refus de la fixité. 

Depuis le XIXe siècle, comme le rappelle en marge de son dernier ouvrage Boris Cyrulnik, fixistes et évolutionnistes s’opposent. Un dilemme que l’on retrouve dans la célèbre formule du film Le Guépard, de Luchino Visconti, adapté du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa : «Il faut que tout change pour que rien ne change.» Sauf que dans ce contexte si particulier de la fin du règne triomphant de l’aristocratie, le héros, qui est un double du réalisateur, comprend qu’il doit intégrer ce changement pour espérer conserver une part de ses privilèges. 

Or, cette querelle entre fixistes et évolutionnistes reste d’actualité. Quel parallèle avec l’époque actuelle ? Dans notre société traversée par des mutations profondes touchant à la famille, au travail, à l’existence même (si on pense aux conséquences de l’allongement de l’espérance de vie) subsistent de vraies résistances aux changements. «On a tendance à bloquer la vie, à la figer dans une idéologie, des concepts, des représentations, déplore Fabrice Midal, ce qui crée quelque chose de crispé. La brutalité des injonctions vient casser les équilibres.» 


◦ Apprendre le changement ?

Si le changement est consubstantiel à la vie et que cette dernière est un écoulement, suffit-il de l’accueillir en se laissant porter ou faut-il apprendre à changer ? Quels sont les leviers dont nous disposons pour faciliter le déploiement de cette énergie vitale que nous portons en nous ? Sur les grandes questions d’époque, la méthodologie divise. Concernant l’écologie, faut-il souhaiter un réveil brutal ou commencer par une stratégie des petits pas, théorisée par un penseur comme Pierre Rabhi ? La précipitation n’est pas toujours bonne alliée.

Psychanalyste, Charlotte Montpezat accompagne ses patients dans leur désir de changement : «On vit dans une époque de révolution polymorphe avec une modification des rapports entre hommes et femmes, de notre rapport au travail, au couple, sans parler du changement climatique et de l’instabilité géopolitique. Les personnes qui consultent le font parce qu’elles veulent changer. Elles sont souvent dans des logiques de terre brûlée, avec une envie de sauter dans le vide et de tout révolutionner. À moi de vérifier l’état de leur parachute en leur faisant comprendre que cela prend du temps, ce qui n’est pas évident dans un contexte d’accélération du monde et de démultiplication des possibles.» 

Les techniques du développement personnel ont montré leurs limites en ce qu’elles plaquent, elles aussi, des réponses qui ne viennent pas de la personne elle-même. «Le changement arrive quand on est curieux autant du monde que de soi », note-t-elle. La curiosité en est un de ses leviers importants. Elle ne s’exerce pas en solitaire mais bien souvent en interaction avec le collectif, les autres. «C’est toute la morale du conte de Kipling intitulé L’Enfant d’éléphant, qui est une ode joyeuse à la curiosité. Dans un monde en perpétuel mouvement, nous avons besoin d’un ancrage. Cette curiosité nous aide dans cet effort d’évolution», ajoute Charlotte Montpezat.

◦ Prises de parole artistiques

La question du changement et de l’évolution est au cœur de diverses prises de parole artistiques. Exposée cet été à Rome, l’œuvre de l’artiste protéiforme Louise Bourgeois interroge, notamment dans sa série Topiary, la métamorphose du corps féminin depuis l’adolescence jusqu’à l’âge adulte. Chez elle aussi, changement et vivant sont consubstantiels. 

En guise de tête et de buste, sa statuette de femme en pied a le haut du corps en forme de bouquet de pétales bourgeonnant, symbole de la naissance d’une nouvelle identité. L’artiste réinterprète ainsi le mythe de Daphné dans Les Métamorphoses d’Ovide, laquelle se transforme en laurier afin de fuir Apollon. Pour Louise Bourgeois, pionnière de ces questions et interrogations, la femme est actrice de sa propre métamorphose. Un moyen de reprendre possession d’elle-même, de sa vie. 

Article de Céline CABOURG pour Madame Figaro, https://madame.lefigaro.fr/bien-etre/psycho/changer-c-est-accepter-les-possibles-comment-integrer-le-changement-dans-sa-vie-20241007